- Mais, comment ? s'écria mon père abasourdi, n'ayant jamais entendu parler de pareil fait.
- Comme tout le monde, reprit Méhul, les mains sur le clavier, et qu'il attende.
Interloqués, nous nous levons tous, mon père,
ma mère, ma grand'mère et moi, et entrons dans le salon. Je me dirige vers le piano dont nous
avions allumé les lampes et m'installant comme l'avait dit Méhul, j'attends. Au bout d'un quart d'heure, comme aucun phénomène
ne se produisait, mon père nous dit :
- Ce
n'est pas possible, il doit y avoir erreur de communication, retournons dans la
salle à manger.
Nous voilà donc à nouveau autour de la table.
De suite, celle-ci se remet à tourner et Méhul reproduit textuellement sa
communication, en ajoutant cependant cette phrase sur laquelle je ne saurais
trop appuyer :
- Il
faut que vous éteigniez les lampes, car les rayons lumineux forment obstacle à
la manifestation.
Vite, nous nous précipitons derechef
vers le salon ; nous éteignons tout et me voilà dans l'obscurité la plus profonde,
devant un instrument, livré complètement à l'influence de l'au-delà.
Je tiens cependant à faire remarquer de suite
que l'obscurité qui fut nécessaire au début pour obtenir un morceau, ne resta
de règle qu'environ un an.
Au bout de ce temps, peu à peu, la
lumière fut rendue et actuellement je puis jouer au grand soleil.
Vous me demanderez peut-être quelles
furent, à ce moment là, les impressions que je ressentis ?
Je vous avouerai qu'une certaine
appréhension s'était emparée de moi ; et malgré tous les phénomènes physiques
auxquels il m'avait été donné d'assister, une crainte vague m'envahissait.
En effet, si tout ce que j'avais vu
auparavant avait été obtenu par mon intermédiaire, je n'avais éprouvé, personnellement,
aucune sensation particulière. Il n'en était pas de même pour cette expérience
du piano. Je me rendais compte que c'était mon organisme même qui allait entrer
en jeu.
Qu'allait-il se passer ?
Mon Dieu, ce fut bien simple, quoique
bizarre pour moi.
Tout à coup, je sentis mes mains
s'engourdir.
De plus en plus la sensation du clavier
disparaissait sous mes doigts et je fus tout surpris d'entendre résonner avec
force un magnifique accord car je ne
sentais plus du tout les touches.
Je me rendais compte que mes mains
étaient anesthésiées, car mes bras remuaient en suivant la suite des notes, mais le tact manuel était aboli...
J'étais bien heureux en comprenant que
j'allais assister, en véritable auditeur, à ce concert d'un nouveau genre.
Je sentais mon cerveau complètement
libre et sans avoir aucune préoccupation de fausses notes, je m'abandonnais à
l'influence de Méhul.
Néanmoins cette sensation de jouer du
piano, sans sentir le clavier et sans savoir ce qui se jouait sous mes doigts
était plutôt étrange.
Mais si j'étais heureux, la surprise, la
joie surtout furent complètes pour mon père, ma mère et ma grand'mère.
Me voilà donc médium musicien !
Quelques jours après, mon père qui était
d'une extrême exigence, voulut assister à de nouveaux phénomènes physiques.
Nous nous installons donc comme
d'habitude dans la salle à manger, autour de la table, et nous attendons.
Quelle stupéfaction de constater
qu'aucun mouvement, aucun bruit ne survient. Comment, après tout ce que nous
avions obtenu, le meuble restait aussi inerte que pendant les trois premiers
mois !
Ceci dépassait notre compréhension.
Absolument désespéré, mon père me
demanda d'aller au piano. A peine y étais je installé, qu'un de mes doigts se
mit à frapper frénétiquement une des touches.
Nous ne savions trop ce que cela voulait
signifier, lorsque mon père eut l'idée que l'esprit voulait causer.
La réponse ne se fit pas attendre.
Le doigt en question (ou un autre, car,
dans l'obscurité, je ne pouvais me rendre compte lequel de mes dix doigts
jouait de celte façon) frappa une note, une seule fois, et mon père comprit
immédiatement que la correspondance par coups frappés allait être remplacée par
la communication par.... note frappée.
Il appela les lettres comme d'habitude
et la réponse que Méhul nous donna fut pour nous extraordinaire. L'esprit nous
annonçait que ma médiumnité physique était abolie et que jamais plus je
n'obtiendrais quelque phénomène que ce soit à la table !
- Mais pourquoi ?
s'écria mon père.
- Parce que la force
fluidique de Georges, répondit Méhul, est complètement nécessaire aux
manifestations musicales dont nous voulons le rendre interprète. Il ne faut,
sous aucun prétexte, qu'il y ait dépense par ailleurs.
Et ce fut fini. Rien n'y fit.
L'entêtement de mon père qui, à tous prix, voulait encore voir des faits
physiques, se heurta à la volonté supérieure de nos amis les musiciens.
Il fallut se rendre à l'évidence et à
dater de ce moment, c'est à ma nouvelle médiumnité que je m'adonnai
complètement.
C'est donc Méhul qui ouvrit l'ère de ces
phénomènes musicaux et dès le début on put remarquer la netteté, la justesse et
la correction de la mesure de ce qui était joué.
Quelquefois, depuis cette époque,
pendant plusieurs heures de suite et sans grande fatigue je me mettais au piano
deux ou trois fois par semaine.
J'avouerai, sans vouloir préjuger de la
valeur musicale des morceaux ainsi produits que, loin d'être une corvée pour
moi, ce m'était un véritable plaisir que de me livrer ainsi aux esprits de nos
grands musiciens disparus.
Les citerai-je tous ? Je ne pourrais.
Ce qui doit être remarqué, cependant,
c'est que ce furent surtout les classiques qui tinrent nos séances. En tête Beethoven, puis Mendelssohn,
Mozart, Bach, Schumann, Schubert, Méhul, Stradella, Rameau, Chopin, Liszt,
Berlioz, F. David, Wagner, etc..
(...) C'est pendant treize ans, de 1891 à
1904, que ces manifestations durèrent dans notre petit cercle d'amis...
(...) Je n'avais véritablement pas de
chance, et je ne me voyais toujours pas contrôlé, étudié sérieusement.
Cela me chagrinait assez, car M. David
ne cessait de répéter que ma médiumnité ne prouvait rien et qu'il fallait
absolument un cercle de savants pour faire éclater ma bonne foi.
C'est à ce moment que Monsieur Gabriel Delanne,
président de la Société française
d'études des Phénomènes psychiques, directeur de la Revue scientifique et morale du spiritisme, fit paraître dans cette
dernière publication un entrefilet par lequel il invitait tous les médiums de bonne
volonté à se faire connaître.
M. David, qui y était abonné, ne lit
qu'un bond jusqu'à la maison et agitant son numéro, demanda à mon père s'il
voulait qu'il écrivit pour demander un rendez-vous.
Nous
allons donc faire connaître Georges, s'écria-t-il, et aussi, par M. Delanne, arriverons-nous
à des expériences sérieuses et suivies.
Enchanté, mon père lui répondit
affirmativement et, par une lettre explicative, M. David demanda à M. G. Delanne
de bien vouloir venir chez lui afin de m'entendre.
Ceci se passait vers le mois d'Octobre
1904.
La médiumnité spirite de Georges Aubert exposée par lui-même - 1920 (page 42)
La Conférence de M. Gabriel Delanne
(...) M. Gabriel Delanne rappela comment, en 1904,
il connut le médium musicien Aubert ; ce dernier, qui avait quelques vagues
notions de musique, mais n'a jamais appris l'harmonie ni le contrepoint ni la
fugue, fut soumis à un contrôle scientifique sérieux. Quand il est sous
l'influence, il y a chez lui une anesthésie complète des mains et des
avant-bras ; il joue sans sentir les touches. Les savants de l'Institut général
psychologiques l'ont étudié rigoureusement, une fois chaque semaine, pendant 3
mois. On constata que :
- son état physiologique est normal ;
- l'anesthésie de ses avant-bras et des
doigts existe réellement ;
- son automatisme est indéniable.
L'une des preuves de la sincérité de M.
Aubert, qui pourrait acquérir à la fois la célébrité mondiale et une fortune
considérable, est son complet désintéressement. De plus, ce qu'il joue est
toujours imprévu, toujours original, toujours inédit. Au point de vue musical,
le contrôle a été fait par des maîtres en cet art, par des pianistes
professionnels, des compositeurs célèbres, des professeurs aux Conservatoires
français et étrangers.
- Ainsi,
conclut M. Gabriel Delanne, M. Aubert est réellement en communication avec
l'Au-delà. Par lui, les invisibles viennent nous donner du courage pour
supporter l'épreuve terrestre ; ils nous affirment qu'on ne meurt pas et que
nous irons les rejoindre, pour poursuivre notre évolution.
Le Médium musicien Aubert
C'est avec une attention remarquable -
ce qui prouve qu'ils avaient compris l'importance du phénomène auquel ils
assistaient - que les spectateurs ont écouté M. Aubert qui, successivement,
interpréta :
I. Mendelsohn. - II. Chopin. - III.
Leclair. - IV. Litz. - V. Weber. - VI. Bach. - VII. Godart.
Ce qui est le plus remarquable, c'est
que ce médium musicien, avant d'exécuter le morceau qui lui est inspiré, est
aussi ignorant que le public de ce qu'il va jouer. Il est donc un spécimen
extraordinaire de médiumnité automatique. Il nous disait, après la séance,
qu'avant de se rendre rue d'Athènes, il aurait été incapable de pianoter « Au
clair de la lune », car il avait le cerveau vide de toute idée musicale.
Et c'est le même homme qui joua, avec un
brio et une exécution déconcertante chez un être n'ayant pas étudié
professionnellement le piano, des œuvres si nettement inspirées par les maîtres
Chopin, Litz et autres que, dans la salle, les connaisseurs avaient reconnu
l'auteur avant qu'il n'ait été nommé par le médium.
Ce qui prouve bien la sincérité de M.
Aubert, c'est la réflexion que fit quelqu'un qui est pianiste.
- On voit bien,
disait-on, que ce monsieur n'a pas appris le piano ; il tape parfois d'un
doigt, a des mouvements contraires à ceux qui sont enseignés et ne suit, dans
son jeu, aucune des règles classiques : il joue avec beaucoup de contraction
dans les mains, et si elles n'étaient pas anesthésiées, cette contraction le
ferait tellement souffrir qu'il ne pourrait pas rester au piano plus de
quelques minutes.
Si M. Aubert peut ainsi se produire en
public, c'est à la suite d'un lent et minutieux développement de sa médiumnité.
Dans les premiers temps, l'obscurité
était indispensable. Encore aujourd'hui, il est utile qu'il soit entouré d'un
cercle sympathique et il a besoin d'être écouté en silence. Il dit avoir
l'impression que quand il joue devant une nombreuse assistance, l'on met autour
de lui un cordon fluidique qui l'isole complètement.
Les militants spirites doivent se
féliciter du succès de cette magnifique soirée, dont tous les spectateurs
garderont le souvenir. Nombreux parmi eux étaient les non-initiés ; beaucoup,
sans doute, convaincus maintenant que le spiritisme n'est pas un amusement,
vont chercher à se documenter sur notre science.
Bulletin
de l'Union Spirite Française - Janvier 1991 (Page 33)